Le Lycée Jean-Nicoli
(notice historique)
Les origines
L’actuel Lycée Jean-Nicoli figure au nombre des bâtiments les plus chargés d’histoire de la ville. La partie la plus ancienne de l’établissement a plus de trois cents ans. Elle est constituée par l’ancien couvent de la "Société des Prêtres de la Mission" dite également "Congrégation des Missionnaires Lazaristes".
Cette congrégation a été fondée à Paris, en 1625, par Vincent de Paul (1581-1660). Celui-ci sera béatifié en 1729 et canonisé en 1737.
La Société des Prêtres de la Mission s’implique dans trois types d’actions d'évangélisation : les missions itinérantes dans les paroisses, la direction de séminaires dans le but de former des futurs prêtres et des missions dans des pays lointains (Afrique, Turquie, Chine, Tibet).
Les débuts à Bastia
À Bastia, l’installation des Prêtres de la Mission s’effectue sur l’initiative du Sénat de la Sérénissime République de Gênes qui y voit un moyen de pacifier les mœurs agitées des insulaires. Attribuant le caractère rebelle et emporté des Corses à leur absence de morale et de conscience spirituelle, les sénateurs songent à leur fournir l’une et l’autre afin d’améliorer leur sens civique et la quiétude de l’île. La construction du couvent des Missionnaires est donc largement financée par l’Etat génois. Le projet, très coûteux, met de nombreuses années à se concrétiser.
Dès 1656, le Sénat réfléchit aux moyens de financer l’opération et en 1665, un premier projet de plan de l’église des Missionnaires est dessiné par l’architecte Bernardo Canevaro. Finalement, on sursoit à la construction de l’église et on décide de commencer par construire de spacieux bâtiments conventuels à l’intérieur desquels on se contentera d’implanter une grande chapelle. Les travaux sont exécutés d’après les plans de l’architecte Giacomo Bonannato, la première pierre est solennellement posée le 8 août 1678.
La construction d’un palais
Les travaux de gros œuvre durent trente ans. En 1709, ils sont quasiment achevés et le gouverneur de la Corse commande au marbrier Domenico Saporito un portail de marbre blanc pour embellir l’entrée principale (qui se trouve alors du côté de la mer). Il le fait surmonter de deux griffons soutenant le blason de Gênes et fait graver sur le linteau une inscription latine commémorative, afin de rappeler la date de fondation et le rôle de commanditaire joué par la Sérénissime République : "DOMUS CONGREGATIONIS MISSIONIS, PIETATE ET MUNIFICENTIA SERENISSIMAE REIPUBLICAE FUNDATA 1678" (les armoiries n’existent plus, mais l’inscription est encore en place).
Le couvent est originellement conçu comme un palais, d’ailleurs les documents du début du XVIIIe siècle ne le dénomment pas "convento dei Missionari" mais bien "palazzo dei Missionari". Toutes les salles sont vastes et hautement voûtées, bien éclairées et aérées par de grandes fenêtres. Le complexe architectural est composé de quatre corps de bâtiments, organisés autour d’une cour intérieure de plan carré, bordée de galeries à arcades. Les trois corps principaux, disposés en U, comportent deux étages, tandis que l’aile Est, fermant la cour vers la mer, ne compte qu’un rezde-chaussée couvert d’une grande terrasse, formant belvédère. Il faut imaginer qu’à l’origine, l’entrée principale se trouvait justement de ce côté, face à la mer. La façade qui longe l’actuel cours Pierangeli n’était donc que la façade arrière. Elle donnait primitivement sur un vaste terrain clos qui s’étendait jusqu’à l’actuelle rue Napoléon. Au nord, s’étendait un jardin raffiné aux allées régulières délimitant des parterres aux formes géométriques.
En 1716, trente-huit ans après la pose de la première pierre, le Sénat de Gênes entreprend de faire adjoindre une grande église à l’établissement. La chapelle primitive, implantée dans l’angle Sud-Est des bâtiments, est jugée insuffisante, les jours de fêtes, pour accueillir l’assemblée des religieux et des fidèles. Les plans de l’église, expressément demandés par le Doge de Gênes, lui furent envoyés et par lettre en date du 17 mars 1716, il informait le gouverneur de sa "pleine satisfaction quant au choix du site et au dessin du projet".
Deux ans après le début du chantier, en 1718, on commande au sculpteur Francesco Baratta, de Carrare, un grand portail de marbre blanc pour orner dignement la façade de l’église. On en fait surmonter le linteau des armoiries de Gênes, pour, de nouveau, rappeler à tous que cette église est sortie de terre grâce à la Sérénissime République (le fronton de ce portail, vandalisé sous la Révolution, est actuellement conservé au Musée de Bastia).
Les travaux de construction de l’église furent long, s’étendant sur près de sept années. En 1723, le gros œuvre peut être considéré comme achevé et il ne reste plus qu’à en perfectionner le décor. La nouvelle église est élevée sur l’emplacement d’une très ancienne chapelle dédiée à Notre-Dame du Mont Carmel. Dans ses premières années d’existence, le vocable de l’église des Missionnaires reprend ce nom (chiesa Santa Maria del Carmine). La canonisation de Saint Vincent de Paul (en 1737), fondateur de la congrégation, incitera les religieux bastiais à placer leur église sous son invocation et à changer le nom de l’édifice (chiesa San Vincenzo de’ Paoli).
Une histoire très mouvementée
En 1769, après le rattachement de la Corse à la France, le bâtiment est choisi pour devenir le siège du gouvernement de l’île. Les autorités françaises décident de ne pas s’installer dans l’ancien palais des Gouverneurs génois et choisissent de résider au cœur de la ville basse. On confine alors les Missionnaires Lazaristes dans une seule aile et l’on réquisitionne les autres. Les religieux y demeurent jusqu’à ce que la Révolution les en chasse définitivement (la loi du 10 juillet 1791 transfère alors à l’état la pleine propriété des couvents des ordres supprimés). Pendant les règnes successifs de Louis XV et de Louis XVI, le bâtiment est donc dénommé "palais du Gouvernement". À cette époque, les armoiries de la Sérénissime République de Gênes qui surmontaient la porte principale du couvent et de son église sont martelées. On y applique des fleurs de lys en métal doré afin de les transformer en blason du Roi de France. Au début des années 1790, en pleine tourmente révolutionnaire, ces blasons sont vandalisés, on arrache les fleurs de lys et l’on brise les couronnes qui les surmontent.
Un inventaire mobilier, dressé en 1790 par les
autorités révolutionnaires, énumère sur quatre pages les tableaux, statues,
pièces d’orfèvreries, meubles et orgues dont l’église était richement pourvue.
Rien de cela n’est laissé en place. Toutefois, les décors de stuc échappent heureusement aux
destructions.
Lors du bref rattachement
de la Corse à l’Angleterre, en 1794 et 1795, le palais demeure le centre du
pouvoir politique de l’île et devient le siège officiel du gouvernement du
Royaume anglo-corse.
De 1796 à 1799, sous le Directoire, l’aile
Nord-Est (côté place Saint-Nicolas) est affectée au siège de l’Administration
Centrale du département du Golo, dont Bastia était le chef-lieu. En 1799, des
aménagements sont réalisés dans la grande salle destinée à la tenue des séances
de l’Administration Centrale. On y installe un parquet en bois de châtaigner,
une grande estrade semi-circulaire de 6,80 mètres de diamètre et de 32
centimètres de haut, des sièges pour les 5 Administrateurs et une longue table
de 4 mètres de long. Un banc de 15 mètres, destiné à l’auditoire, est plaqué
sur le pourtour des murs, deux fauteuils avec coussin de crin et deux tables à
tiroir, recouvertes de drap vert, sont destinés au Commissaire du Directoire
Exécutif et au Secrétaire Général de l’Administration Centrale ; les murs sont
ornés de peintures murales. Les travaux de peinture décorative sont estimés à
216 francs et l’ensemble des aménagements à 843 francs et 79 centimes.
Durant cette période, le
rez-de-chaussée et les autres ailes sont transformés en caserne, destinée à
loger une partie de la garnison de la ville.
De 1800 à 1811, l’édifice
continue à abriter les bureaux de l’Administration départementale et prend le
titre d’Hôtel de la Préfecture du département du Golo. Les fonctionnaires
départementaux continuent à cohabiter avec les militaires.
En avril 1811, les départements du Golo et du
Liamone sont fusionnés pour créer un département unique, celui de la Corse. Les
archives de l’ancien département sont mises en caisse pour être transférées à
Ajaccio, de même que le mobilier qui était mis à disposition de l’ancien préfet
(3 miroirs dont deux grands, une commode, 7 tapis, 3 tables à jeux, un canapé,
33 chaises de Livourne, 36 chaises paillées, 6 chandeliers, 4 chenets, 2
cabarets à liqueurs, des rideaux et des tentures, un bureau, 9 petits bureaux,
12 tables, 3 bancs, etc.). Les archives, meubles et effets sont transportés sur
le môle du Vieux-Port et embarqués sur le Bâtiment de l’Etat "Le
Castor".
Dans le courant de l’année 1811, le premier
étage du bâtiment est affecté à une nouvelle entité administrative : la
Sous-Préfecture de Bastia. Quant au second étage, il est cédé à la Ville qui y installe
la Mairie et la Bibliothèque Municipale.
A partir de 1815, la Cour
Royale (ancêtre de l’actuelle Cour d’Appel) s’implante au premier étage du
bâtiment où s’installe également la Mairie (qui descend d’un niveau). La
Sous-préfecture déménage pour monter s’installer au second étage, qu’elle
partage avec la Bibliothèque Municipale.
En 1817, la Cour Royale se
trouve trop à l’étroit. En conséquence, les bureaux de la Mairie et le Bureau
de Police remontent au second et partagent cet étage avec la Sous-Préfecture.
Dans le courant des années
1820, l’armée blanchit l’intérieur de l’église et dépouille sa façade de tous
ses ornements. Elle est alors transformée en entrepôt pour l’artillerie.
Le 8 février 1832, la
Ville de Bastia achète l’ancien couvent des Jésuites (actuel collège
Simon-Vinciguerra) afin d’y ouvrir un collège municipal et de pouvoir également
y transférer ses services, qui manquaient de place. C’est ainsi que la Mairie,
le Bureau de Police et la Bibliothèque Municipale envisagent de quitter
l’ancien couvent des Missionnaires, moyennant la réalisation de travaux
d’aménagement.
Au mois d’avril 1836, de
longues tractations entre la Mairie et l’Armée aboutissent à un accord. Le
Conseil Municipal vote le transfert définitif des locaux que possède la Ville
dans l’ancien couvent des Missionnaires afin que l’Armée occupe pleinement le
bâtiment. En échange, l’Armée cède à la ville une partie des anciens jardins
qui se trouvaient au nord-ouest du bâtiment (8300 m_). Sur ce terrain, la Ville
pourra tracer une rue nouvelle, mettant en communication la place du marché et
la place Saint Nicolas. Selon les termes de cet échange, la Ville s’engage à
faire réaliser à ses frais une longue terrasse, large de 4 mètres, bordée d’un
garde-corps de fer forgé et accessible par un double escalier. C’est ainsi que
l’on a décidé le "retournement" de l’édifice, puisque l’ancienne
façade arrière, donnant sur des jardins, va devenir la façade principale,
donnant sur une rue nouvelle (l’actuel cours Pierangeli). Une disposition de
l’échange prévoit également que dans les trois ans qui suivront la signature de
l’accord, le siège de la Cour (qui occupe toujours une partie de l’aile
Nord-Est) sera libéré aux frais de la Ville. Le processus sera bien plus long
que prévu. L’accord ne sera ratifié par le Ministre de la guerre qu’en août
1837 et légalisé 16 ans plus tard. La Cour
ne déménagera qu’en 1858.
En janvier 1841, le
conseil municipal entérine le tracé d’un nouvel axe urbain, le cours
Louis-Philippe (actuel cours Pierangeli) en exposant que : "le cours
crée une promenade convenable en toutes saisons, l’hiver recevant tous les
rayons du matin et du plein midi et se trouvant abrité contre le vent du
Libeccio". La municipalité envisage de revendre les terrains acquis au
Nord Ouest des Missionnaires pour que des particuliers y fassent construire des
maisons "toutes bâties sur un modèle uniforme". C’est ainsi
que l’ancien couvent, dont l’orientation générale a été retournée, se retrouve
au cœur d’un nouvel ensemble urbain qui se veut élégant et moderne.
Si un accord est entré
dans les faits entre l’Armée et la Ville, rien n’est encore réglé avec
l’administration judiciaire. Au mois de février 1841, le maire dénonce l’état
inconvenant du corps de bâtiment "appelé Palais" : "Les corridors
communs aux militaires, au public et aux magistrats sont un réceptacle
d’immondices et d’ordures. Le greffe est un passage, les jurés n’ont pas de
salle de délibération. Le Premier Président n’a pas de cabinet et les plafonds
des salles d’audience sont tellement bas qu’on n’y a pas encore trouvé une
place convenable pour placer le portrait du roi (il s’agit d’un grand tableau
représentant Louis-Philippe, en pied). Le génie militaire a établi dans le
vestibule des fourneaux dont la fumée se répand partout et entre dans le greffe
et les salles d’audience. La toiture en plomb s’est ouverte en plusieurs points
et a donné passage aux eaux pluviales. Le plafond de la salle d’audience
destinée à la chambre civile est tombé en partie et celui de la cour d’assise
menace ruine". Le 5 mai 1841, le Conseil Municipal vote un crédit de 12
000 francs pour faire face aux travaux les plus urgents, en attendant une
solution définitive.
En 1842, la mort accidentelle du prince
héritier (le duc d’Orléans) émeut les Bastiais qui lui vouaient une sympathie
toute particulière depuis sa visite officielle à Bastia (en 1835) et son
intervention en faveur de l’ouverture d’un Collège Royal dans la ville. On
décide de débaptiser le cours Louis-Philippe pour le nommer cours d’Orléans. On
songe à commander une statue du prince pour l’installer au milieu de la
promenade, face à l’ancien couvent des Missionnaires, mais ce projet ne sera
jamais concrétisé.
De 1848 à 1852, la Cour
Royale demeure dans ses locaux du couvent des Missionnaires mais change son nom
pour celui de : Cour d’Appel de la Corse.
A partir de 1852, la Cour
d’Appel change à nouveau de nom, pour porter celui de : Cour Impériale. En 1858
le nouveau palais de justice de Bastia est inauguré et le siège de la Cour
Impériale y est transféré, libérant enfin ses anciens locaux. L’ensemble des
bâtiments des Missionnaires, désormais entièrement dévolu à l’armée, prend le
nom de "Caserne Marbeuf".
En 1922, l’ancienne église
des Missionnaires, qui n’est plus utilisée par l’armée, est mise à la
disposition de la Ville qui y transfère son Musée municipal (dans le courant du
mois de mars). Ce musée, installé depuis 1908 dans l’une des salles du théâtre,
se trouvait trop à l’étroit et avait besoin d’espace pour présenter ses collections
(histoire naturelle, numismatique, œuvres d’art et souvenirs historiques).
Des lieux dédiés à l’enseignement
L’inexorable accroissement des effectifs du Vieux Lycée de Bastia
(installé dans l’ancien couvent des Jésuites) amène à réfléchir sur leur
redistribution dans la ville. Durant les années 1930, les proviseurs successifs
ne cessent de souligner que les effectifs du lycée ne sont plus compatibles
avec la surface offerte par leur établissement. La situation devient encore
plus problématique au lendemain de la Seconde Guerre. En effet, à la suite des
bombardements de 1943, une partie des bâtiments est inutilisable ou a disparu
(l’aile nord est entièrement détruite). En 1946, sous l’impulsion de Paul
Giacobbi, alors Ministre de l’Education Nationale, une solution est proposée
pour le redéploiement du lycée de Bastia. On décide de le déplacer dans les
locaux de la caserne Marbeuf. En 1947, la propriété de la caserne est
transférée au ministère de l’Education nationale.
Dans les années 1950, on
entreprend des travaux afin de convertir la caserne en établissement
d’enseignement secondaire. On dote le complexe architectural d’une nouvelle
aile : le "pavillon scientifique" (actuels locaux de l’IRA), sur les
plans de l’architecte Jean Démaret (1897-1967). L’établissement prend alors le
nom de "Lycée Marbeuf".
En 1982, l’établissement
est converti en Lycée d’Enseignement Professionnel et les filières de
l’enseignement général sont transférées au lycée du Fango (lycée Giocante de
Casabianca).
De nos jours l’établissement porte le nom
d’un héros de la résistance, Jean Nicoli (1899-1943). Instituteur et directeur
d’école, il est arrêté en juin 1943 et exécuté le 30 août de la même année.
Aujourd’hui, le lycée des métiers Jean-Nicoli accueille environ 500 étudiants.