DISCOURS DE LEO MICHELI

70ème anniversaire de la libération de la Corse

 

Monsieur le Président de la République,

Mesdames et Messieurs,

Camarades,

 

C’est aujourd’hui une fête, la fête de la libération.

Si, en ce jour, la République honore la Corse, c’est peut-être parce que la Corse, pour la part qui lui revient, a, de fait, honoré un moment la France en soustrayant à la domination fasciste et nazie, et sans le concours direct des forces alliées, ce premier morceau de terre française.

L’insurrection populaire, je dis bien l’insurrection populaire, l’insurrection victorieuse des 8 et 9 septembre 43,  contenait, en germe, une anticipation très prometteuse.

Car "la Corse libérant la Corse " préparait les esprits à voir demain "Paris libérer Paris " et "la France libérer la France " tant et si bien que le peuple français, libre enfin, pouvait se tenir debout face au monde, et en mesure de maitriser son destin, dans la plénitude de son indépendance nationale.

Par-là, pensions-nous, notre insurrection était, de fait, d'intérêt  national.

Nous verrons donc, plus tard, nos camarades, dans la France enchainée, n’avoir de cesse de glorifier pour l’analyser ce qu’ils ont appelé "l’exemple corse», développant la confiance populaire, car tel était l’enseignement de notre insurrection : la confiance populaire comme gage des succès futurs.

L’acte individuel peut, certes, avoir sa valeur, mais sa surévaluation manifeste souvent le refus de la démocratie, l'incapacité à gagner le peuple, ce qui nous conduira plus tard à tout faire pour éviter que les questions personnelles, parfois d’ailleurs dérisoires, ne fassent obstacle non seulement à la connaissance, mais aux luttes elles-mêmes, ruinant par-là la vertu de l’action collective.

Notre mot d’ordre :"Il faut engager une lutte armée de masse, par tous les moyens" était lancé le 1er mai 43, ce 1er mai 43, où, cette Place St. Nicolas, chargée d'histoire, verra les jeunes communistes du Front Patriotique des Jeunes, attaquer à la grenade le Commando Maritimo situé à quelques dizaines de mètres d'ici.

Notre préoccupation était d'efficacité, celle d’engager un peuple tout entier dans la lutte libératrice afin qu’artisan de sa libération, il devienne l’artisan de son devenir.

C’est ainsi que dès l’annonce subite de la capitulation italienne par le Général Eisenhower le 8 septembre au soir, vers 19h30, c’est tout un peuple qui, du nord au sud, va se soulever.

Il ne s’agissait évidemment pas d’un simple mouvement spontané.

Le bouillonnement populaire avait demandé une longue préparation semée de sacrifices, sans quoi l’étincelle nécessaire n’aurait pu embraser l’île toute entière.

Nos appels à l’insurrection aussi bien à Ajaccio, qu’à Bastia ou à Sartène et ailleurs eurent, je crois, le mérite de marquer le caractère irréversible de l’insurrection populaire.

Si bien qu’on voudra bien reconnaitre plus tard que notre insurrection, par rapport à toutes les insurrections européennes, avait ceci de remarquable que le choix du moment avait été judicieux et que nous obtenions de la sorte toutes les solidarités nécessaires.

Et il faut convenir tout de même que ce n’est pas anodin de relever que pour l’essentiel, notre libération fut l’œuvre de notre peuple insurgé, notre peuple insurgé accompagné des forces venues d’Afrique du Nord, avec la participation tardive de plusieurs unités italiennes qui laisseront sur cette terre, plusieurs centaines de morts, tous avaient combattu pour notre libération et pour leur  liberté.

Hélas, des forces alliées, engagées par ailleurs, ne furent pas des nôtres.

Je tiens à dire que deux dates auront marqué la marche vers l’insurrection : les 3 et 4 mai à Porri, et ensuite les 3 et 4 août dans la grotte de San Gavinu d’Ampugnani, deux réunions

L’une et l’autre, après bien des débats entre nous, constataient qu’une île de 200 000 habitants face à une armée de 80 000 militaires italiens, renforcée par 14 500 SS ,qu'un tel rapport de forces, que la seule densité militaire ,tout cela imposait cette alternative : ou la Corse se rassemblait ou notre sort était scellé.

Notre force résidait aussi dans les faiblesses de notre ennemi, dans ses divisions internes qu’il s’agissait d’exploiter et d’élargir. C’est pourquoi nous avons intensifié notre propagande en direction des troupes italiennes sur le thème : « Mussolini non he il popolo italiano » !

Nous avions à l’époque bien compris qu’il fallait, en sous-tendant l’idée de la pleine confiance populaire, que "la libération de la Corse soit, en premier lieu, l’œuvre du peuple corse lui-même", sous le mot d’ordre unificateur : « Vive la Corse libre et française. »

Nous avions dégagé notre stratégie en trois points:

-gagner la troupe italienne contre leurs chefs fascistes. En quelque sorte, il fallait conquérir les conquérants.

 -dresser la troupe italienne contre les forces hitlériennes.

  -porter le coup principal contre l’ennemi principal, c'est-à-dire : Hitler!

Le mot d’ordre restait celui de « Démocratie ou Fascisme » .Sans craindre les ennemis qui, en fraude, voulaient introduire l’ancien mot d’ordre de l’anticommunisme : « Démocratie ou Communisme. »

La décision de la grotte de San Gavino d’Ampugnani, quant à elle, intervenait les 3 et 4 août dans une situation nouvelle.

Le 25 juillet, Mussolini était chassé du pouvoir par les mêmes milieux dirigeants de la bourgeoisie italienne qui avaient porté et maintenu la dictature fasciste. Mais les conditions, si nous faisions front, pouvaient être réunies d’une possible insurrection.

C’est pourquoi la décision unanime des cinq participants de la Direction de la Résistance, les trois dirigeants communistes et les deux responsables politiques et militaires du Front National de Libération était claire : en cas de capitulation, nous déclencherons l’insurrection.

Le Général Giraud en fut informé immédiatement, et dans un radiogramme que nous avons reçu à la grotte de San Gavino, le Général Giraud nous répondit, après les félicitations d’usage : « Pas d’insurrection prématurée. Attendez les ordres ! »

Nous avons dit « non » .Et nous avons maintenu notre décision.



Nous allons, à partir de là, développer une grande campagne auprès des soldats italiens, avec une profusion de tracts en langue italienne, en appelant à notre secours les grands noms de l’histoire italienne, de Dante à Leopardi, sans oublier Gramsci.

Notre propagande prendra appui sur les revendications qui touchaient à la vie quotidienne.

Mais il faut reconnaitre que le Général Giraud continuera, comme à Saleccia, les livraisons d’armes. A Saleccia où allait périr notre camarade Dominique Vincetti, à l’âge de 27 ans, tué par les mêmes fascistes italiens qu’il avait affrontés en fêtant son 20ème anniversaire sur le front de Madrid dans un combat destiné aussi à sauvegarder la frontière franco espagnole.

La grande idée du Général Giraud, nous l’avions bien  compris, était de nous aider, mais tout en gardant la main. Peut -être au-delà, espérait-il rassembler, autour de lui, certaines forces nouvelles avec les débris de Vichy.

L'un et l'autre, le Général De Gaulle et le Général Giraud, étaient opposés à notre insurrection.

Mais nous avions estimé qu’ici, tout le peuple montrait qu’il aspirait à une libération prochaine, à une libération rapide, si bien qu’à l’annonce de la capitulation italienne, nous appellerons à l’insurrection, en dépit de tous les ordres reçus.

Le Général Giraud écrira, en bref, dans ses Mémoires : « A l’annonce de la décision des patriotes corses, je suis furieux, j’ai promis à ces gens-là de les aider et je tiendrai parole ». Et je dois dire que le Général Giraud a tenu parole.

Il a permis toutes ces solidarités qui viendront d’Afrique du Nord, de nos chers goumiers, des tirailleurs marocains, du bataillon de Choc du Commandant  Gambiez, de l’ami Gambiez

Et, lors de la Libération, nous saluerons le geste du Général Henri Martin, qui, dans son dernier Ordre du jour, écrira:« Patriotes, officiers, sous-officiers etc. » le Général Henri Martin avait tenu à saluer, en premier lieu, d'élégante manière, l’action des patriotes corses.

Ceci pour dire qu’elles sont vaines par avance toutes les manœuvres qui voudraient instaurer une séparation entre la Nation et son armée, entre les patriotes et leurs camarades des différentes armes.

A nos camarades de lutte, aux goumiers qui se sont battus pour la cause de la liberté sans frontières, et auxquels l'épitaphe de Teghime rend un hommage de fraternité, de sorte qu'il y aurait peut -être indécence à évoquer à côté l’infâme racisme.

Eh bien, merci et félicitations à nos camarades goumiers !

Qu’ils sachent que c’est avec plaisir que nous rappelons le poème de Teghime, de ce col que désormais le peuple appelle le "col des goumiers".

   Cette épitaphe est un geste de fraternité. Et si nous l'avons appris nous-mêmes par cœur, c’est à force de l’enseigner à des élèves qui, en retour, nous  l’ont enseigné et appris :

     

 

 

 

        « Remplis du souvenir d’une lumière unique,

         Leurs yeux se sont fermés aux brumes d’Occident,

         Seigneur, permettez que les durs guerriers de Berbérie

         Qui ont libéré nos foyers et apporté à nos enfants le réconfort de leur sourire,

         Se tiennent contre nous, épaule contre épaule,

         Et qu’ils sachent, Seigneur, combien nous les avons aimés. »

Telle est la prière des Goumiers.

Je veux saluer aussi l’engagement, en dépit des atermoiements de leur hiérarchie, les unités italiennes qui ont lutté contre l’hitlérisme, se battant ainsi pour notre liberté et pour la leur, car en se battant contre l’hitlérisme et quelques unités italiennes elles-mêmes, les combattants italiens , véritables patriotes italiens, étaient dignes de leur patrie : l’Italie.

Le 4 octobre enfin, dans cette ville libre et dévastée, dans cette ville martyre, dans Bastia, éclatait le soleil de la libération.

Merci donc à tous ceux qui, par mer ou par voie des airs, sont venus parfois de loin en risquant leur vie pour nous aider, avec une particulière pensée pour le Commandant L’Herminier et ses hommes.

Hommage à tous nos martyrs d’une résistance indivisible réunie autour du symbole d’un de nos martyrs, Jean Nicoli, celui qui est mort égorgé, décapité, dont on trouvera la tête sur son corps, tenue par des bandelettes.

Ils voulaient le conduire à la mort. Il restera encore plus vivant que jamais dans nos cœurs.

C’est lui qui écrira à quelques heures de sa mort:

 

"Je comprends, à cette heure suprême, le sourire des martyrs. Ils avaient devant les yeux une grande idée. Et moi qui vais mourir, je meurs presque heureux parce que je meurs pour la Corse et pour mon parti, pour tous les spoliés de la Terre. »

                         

DISCOURS LEO MICHELI  (04 10 2013)